Comme je vous aime, satanés corbeaux ! Que de noires fééries en vous, chers
ailés, avec vos têtes de macchabées, vos allures spectrales et vos plumages de
deuil ! La nue pour vous semble n'être qu'un vaste caveau où, avec vos bras
semblables à des crucifix chargés d'obscurité, vous rayonnez tels des astres
funèbres.
Le matin lorsque vous me saluez de vos cris menaçants dans la brume, vous
enchantez mon ermitage de votre coeur de rocaille et de vos manigances de
bandits ! Vous êtes les vivants diamants de la Création, je ne me lasse ni de
votre vol princier dans le ciel ni de vos élégances de croque-morts sur le sol.
Imprégnés d'encre, vous avez des légèretés de poètes et des moeurs de
fossoyeurs.
Ma vie serait bien vide sans vous !
Ma nature d'esthète depuis toujours est éprise de vos charmes sinistres.
Elle se remplit divinement de vos flots de ténèbres et se réjouit follement de
vos plaintes dans le lointain. Vos croassements ressemblent à des promesses de
rêves mélancoliques, à des légendes ressuscitées, à des fables lugubres. Vous
incarnez l'automne éternel, le crépuscule sans fin et l'aube aux clartés
tombales.
Ce brouillard que vous représentez si merveilleusement, vous les ombres célestes, constitue ma lumière.
Vous vous apparentez à de vieux grimoires pleins de mystères. Vos plumes
sont les pages d'un livre de contes effrayants, des mots sépulcraux éclatants de
vérité ! Par votre envergure et vos profondeurs, je vous je vous associe à des
héros littéraires.
Par votre simple présence sur les toits ou dans les champs, en haut des
cathédrales ou au fond des bois, vous écrivez de sombres chapitres, quel que
soit le siècle où vous naissez, et faites ainsi voyager les rêveurs de toutes
les époques dans le royaume des doux cauchemars.
Avec vos mortuaires éclats, vous brillez tous les jours de l'année, pareils
à des soleils de charbon. Les enfants vous adorent comme ils adorent l'ogre et
le frisson dans la nuit. Et moi je vous considère encore plus que mes amis les
rats !
Vos voix rauques au-dessus de la forêt où je me suis enfoui sont pour moi
des sortes de cloches sacrées. Vous sublimez ma solitude.
Aussi augustes que des mages, plus sages que les philosophes avec vos becs
faits pour la beauté et non pour la vacuité. Je vous admire, vous célèbre, vous
bénis et vous prie de hanter longtemps encore mon âme de vos chants éraillés.
Je repense souvent à vous le soir devant le feu de ma cheminée. Et à
travers les flammes de mon âtre qui crépitent et montent, je crois voir battre
vos ailes de glace.
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