Dans ma vie de sanglier, la fenêtre de ma masure se présente à mon
imagination comme un passage impondérable et cependant prodigieux vers
l'extérieur. Une sorte de pont de verre me reliant au reste de l'Univers et à
travers lequel se déversent des flots de pensées légères et de songes profonds,
d'ombres variées et de lumières diverses.
Avec ma vivante et joyeuse cheminée, ce cadre vitré aux apparences si
anodines fait partie de mon cinéma. Ici plus qu'autre part, isolé au fond de ma
forêt, la moindre étincelle devient feu d'artifice et le plus minuscule
évènement prend des proportions quasi cosmiques... Contrairement à ce que l'on
serait tenté de croire, dans ce gouffre de solitude où je suis plongé, l'ennui y
est rare et le quotidien ponctué de quelques riens n'en est que plus
extraordinaire.
A une telle distance des futilités du monde, je perçois tout avec une
particulière acuité.
Il m'arrive ainsi, selon mon humeur du moment ou le temps qu'il fait
dehors, de passer du petit écran de mon âtre au grand format de mes carreaux, de
jour comme de nuit et en toutes saisons. L'averse qui frappe contre les vitres
m'offre alors un beau spectacle et la tempête qui fait trembler les murs me
transporte haut sur ses ailes en furie. Et les rayons de la Lune éblouissent mes
soirées d'une féérie paisible. Même les ténèbres enchantent mes insomnies de
leur chant lugubre.
Ce ne sont pas de simples et banals rêves que je fais, mais de fulgurantes
excursions verticales, de véritables sauts de géant en direction d'un ciel qui
n'est accessible qu'aux âmes marginales lourdement chaussées, comme moi. Je
marche dans la boue du bas et m'y enfonce de tout coeur pour mieux m'élancer
vers l'azur. En prenant appui sur l'épaisseur des choses, je monte jusqu'à d'impalpables subtilités. Et parviens au sommet de l'éveil.
Le voyage est à chaque fois à la hauteur de ma sédentarité : vertigineux.
L'envol de mon esprit est proportionnel à "l'encrottage" de mes
pieds.
Mais le poids de mes semelles me retenant au sol n'est qu'apparent. Au
point ultime de cette existence qui semble tellement statique, je ne suis pas si
encroûté que j'en ai l'air...
En effet, l'enlisement de mes sabots dans les prétendues lourdeurs de la
routine n'est qu'une illusion. Seuls les profanes voient dans ma situation une
stagnation... En réalité, loin de constituer une misérable consolation face aux
miracles technologiques de la modernité, l'humble hublot de ma demeure
forestière les surpasse. Il remplace bien mieux ces toiles où l'on
projette des films et où prennent faussement vie des êtres en deux
dimensions.
Il est la voie royale donnant sur l'ailleurs.
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