jeudi 12 juin 2025

59 - Le chemin creux

Dans la forêt où je me suis laissé engloutir pour y passer une éternité de solitude, il existe une voie secrète s'enfonçant vers des parcelles moins connues où les terres sont plus sombres et les bois plus denses... Comme un recoin situé hors du siècle, un trou oublié loin des certitudes modernes, un endroit que l'on ne trouve que dans les livres de contes. Mais l'on ne s'engage pas volontiers dans cette percée qui semble mener vers un monde effrayant. Ce lieu inquiétant consiste en un chemin creux et tortueux qui descend abruptement et donne l'impression de faire disparaître ceux qui s'y engouffrent.
 
J'ai souvent hésité à emprunter ce sentier à l'issue incertaine.
 
Jusqu'au jour où, tenaillé par la curiosité, je me décidai à aller explorer cet abîme. En avançant prudemment dans ce nouvel espace, je fus bien vite envahi par un sentiment d'oppression. Au fil de mes pas, tout devenait étrangement calme autour de moi, je progressais dans un silence pétrifiant. Le vent ne pénétrait plus et la clarté s'atténuait considérablement, alors que le Soleil resplendissait au-dessus de la sylve et qu'un souffle chaud remuait les feuillages, plus haut. Même la fraîcheur régnant dans ces profondeurs m'apparaissait anormale.
 
Je marchai longtemps dans cette sorte de tranchée bordée d'arbres aux racines monstrueuses. De vieilles souches dont je n'osais pas regarder les traits grimaçants ajoutaient une dimension extraordinaire à ce fossé de cauchemar. Je me persuadai que des êtres, des spectres, des visages, m'escortaient. Ces présences me suivaient de près, je pouvais en effet deviner leur subtile étreinte, sentir leurs lèvres effleurer ma joue, leurs doigts caresser mes cheveux, leurs mains toucher mon épaule...
 
Evidemment ce n'étaient en réalité que des feuilles, des tiges, des branches sur mon passage.
 
Pourtant j'eus peur. Bêtement. Au point de préférer abandonner et me sauver ! Ce que je fis. Je rentrai promptement dans la sécurité de ma demeure.
 
Le soir venu, je repensai longuement à cet événement près de la flamme réconfortante de ma cheminée, finalement heureux de n'avoir pas été jusqu'au bout de ce voyage dans l'ombre.
 
N'ayant jamais osé retourner dans ce secteur maudit, j'ignore encore sur quoi débouche ce trajet mystérieux.
 
Cela pourra paraître insensé mais je pense que l'imagination, la simple et absurde imagination ne suffit pas à justifier ma fuite. Dans ma situation d'ermitage où les choses prennent une direction tellement différente, je suis nécessairement confronté à des évidences qui n'ont pas cours ailleurs.
 
Qu'on l'admette ou non, dans mon univers forestier les lois ne sont pas les mêmes que dans les villes ténébreuses, éclairées par leurs seuls néons. Contrairement aux métropoles électrifiées et désenchantées, ici le terrain n'est pas partout défriché et l'invisible pas toujours dévoilé. Les légendes et croyances ancestrales y persistent, s'y enlisent même. La cité brille de ses multiples artifices mais sombre par son vide. Ses scintillements ne valent rien à mes yeux.

L'obscurité des ramures sous lesquelles je frémis et la lumière de l'âtre devant lequel je rêve y ont beaucoup plus de prix.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire