vendredi 23 mai 2025

32 - Le vent sur la forêt

Les jours de grand vent sont toujours une fête fracassante en forêt. Mon univers de branches et de troncs s'ébranle, se disloque, se fend, se brise... En haut et autour de moi tout se balance, danse et craque. Ca gémit et hurle de partout. C'est effrayant et admirable. Et parfois je vois d'augustes centenaires fauchés, renversés par terre, anéantis. Ces vastes cadavres de bois gisent tels des géants vaincus, terrassés par le dieu Éole.
 
Je suis comme un témoin sur un champ de bataille constatant les dégâts, enjambant les débris et évitant les périls. Et tout à la fois exalté par le spectacle de furie et de désolation qui s'offre à moi. Ma solitude est alors hantée par une foule de cris, d'ombres changeantes, de figures agitées...
 
Le ciel se gonfle et la sylve ploie, les nues se mesurent aux montagnes, les hauteurs se percutent avec les étendues d'en bas... Les forces primaires s'affrontent : le combat est brutal et grandiose.
 
Et moi, fétu en sabots et chapeau de paille, je demeure dans la tourmente comme dans une cathédrale sous des bombardements. Entouré par les milliers d'arbres, je me sens tout à la fois protégé et en danger.
 
La fureur éolienne est un chant de guerre céleste sur les immensités de verdure. Le conflit entre le souffle des sommets et le peuple des enracinés dépasse les petitesses de mon quotidien. Au-dessus de ma tête, il s'agit d'un corps-à-corps d'envergure titanesque entre les éléments.
 
L'enjeu, hors des minuscules considérations humaines, se situe dans l'océan des airs, dans les profondeurs telluriques, dans les siècles à venir. A notre échelle ce sont des quasi-immortels qui se couchent, des demi-dieux qui tombent, des histoires immémoriales qui s'effondrent, de véritables légendes qui sont déracinées.
 
Et depuis mon dérisoire promontoire de friche et d'humus, j'assiste au choc cosmique, contemplant le magnifique désastre et comptant les blessés et les morts aux bras arrachés, au tiges rompues, aux ramures décimées, aux assises fragilisées...

Et là, plus vivant que jamais, plein d'éveil, je deviens une flamme de joie dans la tempête.

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