Les jours de grand vent sont toujours une fête fracassante en forêt. Mon
univers de branches et de troncs s'ébranle, se disloque, se fend, se brise... En
haut et autour de moi tout se balance, danse et craque. Ca gémit et hurle de
partout. C'est effrayant et admirable. Et parfois je vois d'augustes centenaires
fauchés, renversés par terre, anéantis. Ces vastes cadavres de bois gisent tels
des géants vaincus, terrassés par le dieu Éole.
Je suis comme un témoin sur un champ de bataille constatant les dégâts,
enjambant les débris et évitant les périls. Et tout à la fois exalté par le
spectacle de furie et de désolation qui s'offre à moi. Ma solitude est alors
hantée par une foule de cris, d'ombres changeantes, de figures agitées...
Le ciel se gonfle et la sylve ploie, les nues se mesurent aux montagnes,
les hauteurs se percutent avec les étendues d'en bas... Les forces primaires
s'affrontent : le combat est brutal et grandiose.
Et moi, fétu en sabots et chapeau de paille, je demeure dans la tourmente
comme dans une cathédrale sous des bombardements. Entouré par les milliers
d'arbres, je me sens tout à la fois protégé et en danger.
La fureur éolienne est un chant de guerre céleste sur les immensités de
verdure. Le conflit entre le souffle des sommets et le peuple des enracinés
dépasse les petitesses de mon quotidien. Au-dessus de ma tête, il s'agit d'un
corps-à-corps d'envergure titanesque entre les éléments.
L'enjeu, hors des minuscules considérations humaines, se situe dans l'océan
des airs, dans les profondeurs telluriques, dans les siècles à venir. A notre
échelle ce sont des quasi-immortels qui se couchent, des demi-dieux qui tombent,
des histoires immémoriales qui s'effondrent, de véritables légendes qui sont
déracinées.
Et depuis mon dérisoire promontoire de friche et d'humus, j'assiste au choc
cosmique, contemplant le magnifique désastre et comptant les blessés et les
morts aux bras arrachés, au tiges rompues, aux ramures décimées, aux assises
fragilisées...
Et là, plus vivant que jamais, plein d'éveil, je deviens une flamme de joie
dans la tempête.
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