Loin des corruptions et vacuités de la ville, je prends racine dans mon
paradis "d'arriéré des bois aux sabots d'azur"... Les arbres, les corbeaux, les
feux de cheminée, ma vieille marmite couverte de suie, les pommes de pin et mon
chapeau d'un autre monde, tout cela forme mes valeurs indépassables. Ce sont là
mes sommets bruts de rustaud de la sylve, les repères ultimes de mon trou de
verdure.
Je n'ai nul besoin d'artifices technologiques pour éclairer mon âme de
bûcheron et combler mon coeur de reclus de la friche. Donnez-moi un peu de terre
dans un coin perdu, trois sillons à cultiver, quelques fagots à brûler, des
étoiles pour voyager, une chandelle pour mes soirées et beaucoup de ciel afin
d'employer le reste de mon temps, et je serai aussi heureux qu'un hérisson dans
les herbes !
Des amis ? Les rats sont mes hôtes et les corvidés ma chorale. Les rongeurs
m'honorent de leur présence ténébreuse et les croasseurs m'enchantent de leurs
concerts sépulcraux, que demander de plus ? J'ai même la chance de recevoir la
visite du renard et du sanglier sans rendez-vous. Quant au hibou, il vient
souvent se percher juste au-dessus de mes rêves, tel un spectre
bienveillant.
Mon confort ? L'eau de la rivière remplit toutes mes attentes essentielles
et le vent fait les choses encore mieux que certains appareils inutiles. J'ai
remplacé l'électricité par la flamme et le téléphone par le silence. Mon
ampoule, c'est le Soleil. Mes lampions, ce sont les lueurs du crépuscule. En ce
qui concerne ma veilleuse, la Lune fait aussi bien l'affaire.
La solitude ? Une vraie libération ! Je vis sans hypocrites politesses,
débarrassé des pesanteurs du bavardage et des obligations de l'apparence. Ici
dans mon antre je suis un cerf rustique, un loup hors du siècle définitivement
coupé des frilosités citadines, un ogre avide de soupes campagnardes et d'air
pur, un épouvantail occupé à fendre des bûches et assoiffé de pensées
tranchantes. J'ai un palpitant d'ours et des pognes calleuses de cul-terreux. Ce
qui, je crois, doit plaire a plus d'une femme... Mais je n'ai de regard que pour
la forêt et ses mystères.
Et d'amour véritable que pour les beautés durables de la nature.
Je me voue à l'humus, à la braise, à la cendre, à la pluie et aux
nuages.
Mon bonheur est dans les ronces.
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