dimanche 1 juin 2025

44 - Les rats

Dans ma tanière d'homme des bois, je loge des rats énormes.
 
Leur taille démesurée est d'autant plus incompréhensible que je ne m'évertue nullement à les engraisser de quelque manière que ce soit, ne faisant rien pour les attirer. J'ignore de quoi ils se nourrissent exactement pour être si gros, de ce que j'abandonne aux oiseaux, aux lapins et aux souris j'imagine... Entre autres festins moins identifiables. En tout cas ils vivent bel et bien là sous mon toit et semblent vouloir y rester pour longtemps ! Je les surprends parfois à aller et venir comme des voleurs dans la pénombre, discrets, furtifs, jaillissant de nulle part et se cachant dans les moindres recoins.
 
Ils gitent et se reproduisent, je suppose, dans des galeries creusées sous ma maison. Depuis leur abri secret en sous-sol, c'est facile pour eux de remonter à la surface à la recherche d'un peu de lumière et de restes alimentaires. Ils osent dîner à ma table, ou plutôt sous ma table, sans y être invités. Sortant de leur quartier général aux heures propices, ils viennent opportunément me rendre visite en plein repas. Et s'attardent jusque fort tard le soir, surtout lorsque je commence à dormir et que la pièce devient plus calme. Ils gambadent alors sous mon lit, furètent un peu partout, explorant les lieux avec leur naturelle curiosité, grimpent sur les tas de fagots, s'introduisent dans les paniers d'osier, se chamaillent autour des épluchures éparses...
 
Ces rusés rongeurs se faufilent à travers je ne sais quels interstices de ma demeure pour aller récupérer mes miettes et se chauffer indûment à mon feu. Ils ont vraiment l'air de se plaire chez moi ! Aussi imposants qu'ils soient, je les laisse volontiers mener leur vie de crapules sous mes pieds. L'avantage de leur intrusion, c'est qu'ils apportent une merveilleuse présence à mes soirées de solitaire.
 
Il faut dire que je ne les déteste pas, au contraire. Je leur trouve des charmes pétrifiants avec leurs petites carcasses sombres, leurs museaux pareils à des faces de loups, leurs queues semblables à des lombrics... Ils ne cherchent visiblement pas à me séduire : je n'en éprouve que plus d'estime à leur égard. Hideux et répugnants, j'aime encore mieux leur âpre et pittoresque compagnie à celle, trop tiède et trop policée, des hypocrites humains lissés par la civilisation.
 
J'ai fait de ces visiteurs aux moeurs ténébreuses mes intimes amis nocturnes, et eux de même je crois. Je suis leur meilleur allié dans leur quête de confort et de rebuts comestibles... Même si nous instaurons dans nos rapports une certaine distance, je pense que nous nous apprécions mutuellement.
 
Ensemble au coeur de la forêt, loin des villes, au centre de nos univers respectifs.

Eux dans leurs trous au fond de la nuit, moi dans mon nid d'ermite au sommet de mon lumineux isolement.

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