Dans l'abîme de friche où gît mon humble toit, je ne croise que des
cailloux sur les chemins. Autant dire des présences informes, des entités
muettes, des choses plus que des êtres. Rien que des faces anguleuses et inertes
vers lesquelles j'adresse pourtant mes pensées les plus secrètes.
Misérables compagnies d'un pauvre solitaire à l'esprit égaré cherchant
désespérément à travers les éléments des reflets de visages humains à qui
parler, pensera-t-on ?
En réalité ces corps rudes et froids incarnent bien mieux que de simples
intrus sous nos semelles, de vulgaires obstacles à nos pas. Il suffit de se
donner la peine de se baisser, de les observer de près pour se rendre compte de
leur richesse. Ce sont des petites carcasses telluriques aux aspects multiples
et uniques qui racontent des histoires immémoriales. Tout comme les mouvants
nuages, il n'y en a pas un pareil à l'autre. Sauf qu'ils demeurent figés. Du
moins, ne s'animent qu'à l'échelle des siècles, patiemment,
imperceptiblement.
Depuis mon asile de déporté volontaire de la civilisation, débarrassé des
pollutions mentales du monde, je m'attarde sur les dessous oubliés des moindres
"insignifiances" de la nature. Je sonde ces recoins minuscules de la matière qui
au premier abord semblent dépourvus d'intérêt. Et dans ces profondeurs cachées
que représentent ces brisures de roches, je redécouvre l'immensité de la
Création.
Je prends le temps de rouler entre mes doigts ces pierres ramassées au
hasard, conscient de leur infinie diversité. Chacune d'elle a ses traits
exclusifs, pas une sur la Terre n'a un double. Lorsque j'en tiens une dans la
main, elle est toujours singulière, systématiquement exceptionnelle. Certes,
factuellement cela ne constitue pas une nouveauté. Personne n'ignore que pas une
seule de ces figures rocailleuse n'a son exact sosie sur toute la planète.
N'importe qui a déjà fait cette expérience, émis cette objective réflexion.
C'est le fait de s'en émerveiller qui change tout.
Le vrai miracle de ces rencontres avec les hôtes silencieux de ma vie
d'ermite, c'est l'éveil.
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