mercredi 11 juin 2025

58 - Les deux chasseurs

Dans ma vie lumineuse de solitude, il y parfois des nuages qui assombrissent l'azur, des anomalies qui apparaissent dans la clarté du jour, des distractions qui perturbent la quiétude des heures les plus brillantes, mais aussi des interactions improbables qui me font bien rire : c'est ce qui se passe lors de certaines rencontres avec des bipèdes. La plupart d'entre eux sont saugrenus, bavards, sots, pesants, insipides, bêtes, ridicules.
 
Ainsi je croisai deux chasseurs le long d'un sentier forestier. Dûment équipés de leur attirail, consciencieusement vêtus de leurs tenues de camouflage que contredisaient avec éclat leurs règlementaires gilets jaunes fluorescents dont le but est de les rendre toujours bien visibles, sans oublier les typiques casquettes de circonstance (chargées de badges et de sigles porteurs de messages écologiques) vissées sur leurs fronts, ils se targuaient de traquer l'animal sauvage.
 
Nous discutâmes un moment sur le chemin. A les voir ainsi accoutrés et si bien disposés à me faire partager leurs belles idées en vogue, je suppose qu'ils durent me prendre pour un des leurs : un ami de la nature , un défenseur du climat adoptant des "moeurs vertes", doté d'une "conscience de la planète" et ayant évidemment des habitudes de "consommation citoyenne", selon leurs formules.
 
Comme ils se trompaient !
 
Leur vocabulaire infantilisant me consternait et m'amusait tout la fois : "moeurs vertes", "conscience de la planète", "consommation citoyenne"... Pas de doute, je venais de tomber sur de sacrés numéros ! En un mot, des victimes consentantes du ramollissement de notre siècle.
 
Avec leurs épinglettes moralisatrices sur leurs couvre-chefs, j'avais affaire à de drôles d'amateurs de gibier en vérité ! Ce duo de rigolos se présentait comme un "binôme d'écolo-ruraux". Ainsi se définissaient non sans fierté ces authentiques andouilles. Cette paire de guignolos s'enorgueillissaient de pratiquer une "prédation responsable". Aussi sensibles que des caniches de salon, ils m'expliquèrent qu'ils avaient peur de faire souffrir leurs proies et que la vue du sang les répugnait. Mais que diable foutaient-ils donc ici avec leurs fusils s'ils éprouvaient tant de scrupules envers la faune dont ils étaient pourtant censés trouer la peau ?
 
Ils m'avouèrent que souvent, pleins de regrets, ils n'osaient plus tirer, tandis que le lapin se trouvait dans leur viseur ! Pris de remords, il leur arrivait même de verser une larme sur la scène de leur "massacre". Ils attendaient peut-être un signe de confirmation de ma part, face à ces vertueux aveux... Je souriais en écoutant leur repentance.
 
Cela leur blessait le coeur de faire tant de mal à leur "Terre-mère", ne serait-ce qu'en marchant sur les champignons, en piétinant les fleurs des bois, en aplatissant quelques fougères dans leur exploration sylvestre... A ce stade je me demandai s'ils n'étaient pas des sodomites en vadrouille, leurs armes et leur costumes frisant le folklore n'étant que des prétextes pour prendre l'air en donnant le change...
 
Je pris vite congé de ces clowns de la verdure, comiques dindons déguisés en pisteurs de rossignols, en tueurs de peluches, vivantes farces de notre monde contemporain !

Le soir en dégustant mes patates au beurre au coin du feu, je repensai à ces sanguinaires mollusques, les imaginant revenus bredouilles de leur sortie en forêt, une pâquerette au bout de leurs canons.

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