Dans ma vie lumineuse de solitude, il y parfois des nuages qui
assombrissent l'azur, des anomalies qui apparaissent dans la clarté du jour, des
distractions qui perturbent la quiétude des heures les plus brillantes, mais
aussi des interactions improbables qui me font bien rire : c'est ce qui se passe
lors de certaines rencontres avec des bipèdes. La plupart d'entre eux sont
saugrenus, bavards, sots, pesants, insipides, bêtes, ridicules.
Ainsi je croisai deux chasseurs le long d'un sentier forestier. Dûment
équipés de leur attirail, consciencieusement vêtus de leurs tenues de camouflage
que contredisaient avec éclat leurs règlementaires gilets jaunes fluorescents
dont le but est de les rendre toujours bien visibles, sans oublier les typiques
casquettes de circonstance (chargées de badges et de sigles porteurs de messages
écologiques) vissées sur leurs fronts, ils se targuaient de traquer l'animal
sauvage.
Nous discutâmes un moment sur le chemin. A les voir ainsi accoutrés et si
bien disposés à me faire partager leurs belles idées en vogue, je suppose qu'ils
durent me prendre pour un des leurs : un ami de la nature , un défenseur du
climat adoptant des "moeurs vertes", doté d'une "conscience de la planète" et
ayant évidemment des habitudes de "consommation citoyenne", selon leurs
formules.
Comme ils se trompaient !
Leur vocabulaire infantilisant me consternait et m'amusait tout la fois :
"moeurs vertes", "conscience de la planète", "consommation citoyenne"... Pas de
doute, je venais de tomber sur de sacrés numéros ! En un mot, des victimes
consentantes du ramollissement de notre siècle.
Avec leurs épinglettes moralisatrices sur leurs couvre-chefs, j'avais
affaire à de drôles d'amateurs de gibier en vérité ! Ce duo de rigolos se
présentait comme un "binôme d'écolo-ruraux". Ainsi se définissaient non sans
fierté ces authentiques andouilles. Cette paire de guignolos
s'enorgueillissaient de pratiquer une "prédation responsable". Aussi sensibles
que des caniches de salon, ils m'expliquèrent qu'ils avaient peur de faire
souffrir leurs proies et que la vue du sang les répugnait. Mais que diable
foutaient-ils donc ici avec leurs fusils s'ils éprouvaient tant de scrupules
envers la faune dont ils étaient pourtant censés trouer la peau ?
Ils m'avouèrent que souvent, pleins de regrets, ils n'osaient plus tirer,
tandis que le lapin se trouvait dans leur viseur ! Pris de remords, il leur
arrivait même de verser une larme sur la scène de leur "massacre". Ils
attendaient peut-être un signe de confirmation de ma part, face à ces vertueux
aveux... Je souriais en écoutant leur repentance.
Cela leur blessait le coeur de faire tant de mal à leur "Terre-mère", ne
serait-ce qu'en marchant sur les champignons, en piétinant les fleurs des bois, en aplatissant quelques fougères dans leur exploration
sylvestre... A ce stade je me demandai s'ils n'étaient pas des sodomites en
vadrouille, leurs armes et leur costumes frisant le folklore n'étant que des
prétextes pour prendre l'air en donnant le change...
Je pris vite congé de ces clowns de la verdure, comiques dindons déguisés
en pisteurs de rossignols, en tueurs de peluches, vivantes farces de notre monde
contemporain !
Le soir en dégustant mes patates au beurre au coin du feu, je repensai à
ces sanguinaires mollusques, les imaginant revenus bredouilles de leur sortie en
forêt, une pâquerette au bout de leurs canons.
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