mardi 20 mai 2025

28 - La corneille

Un matin j'entendis toquer à ma fenêtre. Des bruits convulsifs contre la vitre qui m'occasionnèrent une petite frayeur, je dois l'avouer. Quelle surprise ! Il s'agissait d'une corneille... Rassuré en découvrant l'importune mais intrigué tout de même par cette présence insolite, j'observai l'oiseau qui ne semblait pas vouloir s'éloigner de ma demeure... En voilà un mystère, me dis-je ! Que me valait l'honneur d'une si aimable visite ? Je me flattais, en effet, de recevoir un hôte aussi prestigieux, portant en haute estime dans mon coeur d'esthète ce genre de volatile...
 
Peut-être celui-ci avait-il été attiré par les fruits de mon jardin ? Ou bien, simplement curieux, s'était-il approché de mon foyer en quête de je ne sais quel autre trésor à portée de son bec ? Il demeurait derrière le carreau à m'examiner, et moi de même. J'essayais de ne pas l'effaroucher par des gestes trop brusques, admirant sa silhouette anguleuse, sa robe lugubre, son attitude de crapule. Noir et laid, plein de majesté dans sa cape de deuil, le croque-mort de l'azur arborait les splendeurs des sommets et des gouffres.
 
Le corvidé me fixait toujours avec morgue. Ses allures hautaines lui conféraient de l'importance, suscitant mes égards. Je le trouvais fort respectable dans ses manières dédaigneuses. J'avais l'impression que le ciel, habituellement peuplé de simples papillons et d'insignifiants moineaux, m'avait mandaté son représentant le plus princier, le plus glacial, le plus méprisant, mais aussi le plus fièrement plumé.
 
Une sorte de messager de l'aube, un intrus débarquant de nulle part pour me réveiller. Et ce, afin de célébrer une nouvelle journée, acclamer la Création au sein de la verdure...
 
Il resta ainsi un bon moment à faire son théâtre de matador dans son costume funèbre. Et puis, après avoir bien inspecté mon intérieur de son oeil de charognard et m'avoir salué de son aile sépulcrale, il prit son envol au-dessus de la forêt et disparut bientôt dans les nues en poussant ses cris de rocaille.
 
Merveilleuse compagnie matinale qui éclaira l'aurore d'une lumière fulgurante ! Cet envoyé spécial des airs s'était précisément posé chez moi afin de m'apporter ses grâces et légèretés de noble épouvantail, comme un signe fort du sort.
 
Je ne devais plus jamais revoir ce mystérieux et éphémère visiteur qui avait ajouté un sens supplémentaire à ma solitude : depuis ce trou où je m'étais enterré, je pouvais voir surgir de la réalité des êtres venus d'ailleurs. Ce qui aurait passé pour une banalité en ville devenait ici un évènement exceptionnel chargé de significations.

A ce titre, ma réclusion au fond des bois n'en parut ce jour-là que plus précieuse.

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