Un matin j'entendis toquer à ma fenêtre. Des bruits convulsifs contre la
vitre qui m'occasionnèrent une petite frayeur, je dois l'avouer. Quelle surprise
! Il s'agissait d'une corneille... Rassuré en découvrant l'importune mais
intrigué tout de même par cette présence insolite, j'observai l'oiseau qui ne
semblait pas vouloir s'éloigner de ma demeure... En voilà un mystère, me dis-je
! Que me valait l'honneur d'une si aimable visite ? Je me flattais, en effet, de
recevoir un hôte aussi prestigieux, portant en haute estime dans mon coeur
d'esthète ce genre de volatile...
Peut-être celui-ci avait-il été attiré par les fruits de mon jardin ? Ou
bien, simplement curieux, s'était-il approché de mon foyer en quête de je ne
sais quel autre trésor à portée de son bec ? Il demeurait derrière le carreau à
m'examiner, et moi de même. J'essayais de ne pas l'effaroucher par des gestes
trop brusques, admirant sa silhouette anguleuse, sa robe lugubre, son attitude
de crapule. Noir et laid, plein de majesté dans sa cape de deuil, le croque-mort
de l'azur arborait les splendeurs des sommets et des gouffres.
Le corvidé me fixait toujours avec morgue. Ses allures hautaines lui
conféraient de l'importance, suscitant mes égards. Je le trouvais fort
respectable dans ses manières dédaigneuses. J'avais l'impression que le ciel,
habituellement peuplé de simples papillons et d'insignifiants moineaux, m'avait
mandaté son représentant le plus princier, le plus glacial, le plus méprisant,
mais aussi le plus fièrement plumé.
Une sorte de messager de l'aube, un intrus débarquant de nulle part pour me
réveiller. Et ce, afin de célébrer une nouvelle journée, acclamer la Création au sein de la verdure...
Il resta ainsi un bon moment à faire son théâtre de matador dans son
costume funèbre. Et puis, après avoir bien inspecté mon intérieur de son oeil de
charognard et m'avoir salué de son aile sépulcrale, il prit son envol au-dessus de la
forêt et disparut bientôt dans les nues en poussant ses cris de rocaille.
Merveilleuse compagnie matinale qui éclaira l'aurore d'une lumière
fulgurante ! Cet envoyé spécial des airs s'était précisément posé chez moi afin
de m'apporter ses grâces et légèretés de noble épouvantail, comme un signe fort
du sort.
Je ne devais plus jamais revoir ce mystérieux et éphémère visiteur qui
avait ajouté un sens supplémentaire à ma solitude : depuis ce trou où je m'étais
enterré, je pouvais voir surgir de la réalité des êtres venus d'ailleurs. Ce qui
aurait passé pour une banalité en ville devenait ici un évènement exceptionnel
chargé de significations.
A ce titre, ma réclusion au fond des bois n'en parut ce jour-là que plus
précieuse.
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