lundi 2 juin 2025

46 - Les grands arbres

Au coeur de la forêt, les figures qui comptent à mes yeux dans le contexte de ma solitude, ce sont les arbres séculaires.
 
Ils dépassent mon quotidien de plusieurs têtes, s'élèvent au-dessus du siècle, montent plus haut que mes patates, voient au-delà de mon horizon, dominent largement mon espace physique. Ces illustres silhouettes ne sont pas faites pour l'anodin mais pour l'exceptionnel. Leur destin est de devenir des géants, de défier le temps, de se mesurer au ciel, de faire de l'ombre aux hommes.
 
Il faut être une nature solaire pour les admirer, doublée d'une âme pénétrante pour les saluer comme je le fais à l'égal des seigneurs, au risque de passer pour un fou.
 
Ces vastes entités végétales s'affichent avec majesté sur la toile de fond de l'azur. Je les aime pour leur envergure royale, leur bras ouverts à tous les vents, leurs constellations de feuilles dans les nues... Leur beauté d'élégants colosses leur confère un statut supérieur. Pour moi ce sont des demi-dieux à la peau rêche, des Goliath en dentelle verte, d'antiques sommets aux racines de marbre.
 
Leur attitude naturelle, c'est la prise d'altitude.
 
Ils ont le regard hautain des personnages aux carrures immenses. Et les vues de longue portée qui vont avec. Ces troncs augustes aux ailes vertigineuses et aux silences sublimes valent mieux que nos immortels sous la coupole. Ces derniers sont de pauvres astres fragiles, de bruyantes brindilles, de purs légumes académiques brillant bien moins longtemps que les chênes, pour être finalement oubliés dans la poussière des bibliothèques.
 
Personnalités historiques des profondeurs forestières, dignitaires de la sylve, vieux épouvantails aux branches glorieuses, ces sages aux toges d'écorce, aussi solides que des statues de pierre, sont nés avant nous tous. Et avec leur sève plus ancienne que notre sang, en savent plus que nos vies aux jours si brefs.
 
Leurs grands airs impassibles me charment et m'enchantent. Je sais que depuis leur hauteur ils m'ignorent, l'allure impériale, la face figée, tandis que je les contemple, couché à leurs pieds.

Leur essentielle vertu, c'est que devant nos humaines vanités ces monuments vivants restent invariablement de bois.

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