Au coeur de la forêt, les figures qui comptent à mes yeux dans le contexte
de ma solitude, ce sont les arbres séculaires.
Ils dépassent mon quotidien de plusieurs têtes, s'élèvent au-dessus du
siècle, montent plus haut que mes patates, voient au-delà de mon horizon,
dominent largement mon espace physique. Ces illustres silhouettes ne sont pas
faites pour l'anodin mais pour l'exceptionnel. Leur destin est de devenir des
géants, de défier le temps, de se mesurer au ciel, de faire de l'ombre aux
hommes.
Il faut être une nature solaire pour les admirer, doublée d'une âme
pénétrante pour les saluer comme je le fais à l'égal des seigneurs, au risque de
passer pour un fou.
Ces vastes entités végétales s'affichent avec majesté sur la toile de fond
de l'azur. Je les aime pour leur envergure royale, leur bras ouverts à tous les
vents, leurs constellations de feuilles dans les nues... Leur beauté d'élégants
colosses leur confère un statut supérieur. Pour moi ce sont des demi-dieux à la
peau rêche, des Goliath en dentelle verte, d'antiques sommets aux racines de
marbre.
Leur attitude naturelle, c'est la prise d'altitude.
Ils ont le regard hautain des personnages aux carrures immenses. Et les
vues de longue portée qui vont avec. Ces troncs augustes aux ailes vertigineuses
et aux silences sublimes valent mieux que nos immortels sous la coupole. Ces
derniers sont de pauvres astres fragiles, de bruyantes brindilles, de purs
légumes académiques brillant bien moins longtemps que les chênes, pour être
finalement oubliés dans la poussière des bibliothèques.
Personnalités historiques des profondeurs forestières, dignitaires de la
sylve, vieux épouvantails aux branches glorieuses, ces sages aux toges d'écorce,
aussi solides que des statues de pierre, sont nés avant nous tous. Et avec leur
sève plus ancienne que notre sang, en savent plus que nos vies aux jours si
brefs.
Leurs grands airs impassibles me charment et m'enchantent. Je sais que
depuis leur hauteur ils m'ignorent, l'allure impériale, la face figée, tandis
que je les contemple, couché à leurs pieds.
Leur essentielle vertu, c'est que devant nos humaines vanités ces monuments vivants restent invariablement de bois.
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