L'arrivée de la nuit sur la forêt s'annonce pour moi tantôt comme une porte
qui se ferme, tantôt comme une fenêtre qui s'ouvre, selon le chemin qu'emprunte
mon âme. C'est à chaque fois un trou par où me réfugier ou une issue par où
m'évader. Du fond de mon antre de solitaire, la fin du jour prend une dimension
nécessairement sacrée. Chaque soir est un nouveau voyage, un horizon neuf, un
espace qui renaît dans le noir.
Lorsque le Soleil se couche, un autre monde se lève. L'obscurité
s'installant autour de mon foyer n'est pas une impasse car en vérité ma route se
poursuit. Ma maison n'est en réalité pas un simple point d'attache statique où
tout s'arrêterait jusqu'à l'aube, mais un navire silencieux traversant les
profondeurs nocturnes.
Après le crépuscule, l'ombre fait place aux ténèbres et c'est précisément
là que sonne le moment crucial de ma soupe. La marmite qui fume est le grand
signal de départ : je m'assied à la table devant mon assiette et l'aventure
commence ! Je chevauche les ailes de la légèreté qui, inévitablement,
m'emporteront en direction de ce sommet emblématique de la soirée nommé
"minuit". Mon repas terminé, je me repose au coin du feu et, tenant mon
tisonnier aussi noblement qu'un sceptre, je remue un peu la braise. Je deviens
le roi incontesté de ma demeure.
Cependant, à mesure que le temps s'écoule et que la flamme s'attarde dans
l'âtre, mon royaume s'étend par-delà le toit au-dessus de ma tête : je somnole
et bientôt je régnerai sur une contrée aussi vaste qu'insaisissable, aussi
brillante qu'impalpable : le pays des rêves.
Mais avant d'aborder ce rivage fabuleux, je dois mener des guerres
héroïques contre le sommeil qui me gagne progressivement. Faire face à des
armées de marchands de sable qui, sournoisement, alourdissent mes paupières.
Vaincre d'invisibles ennemis qui me harcèlent et veulent me terrasser sur place.
Il me faut résister et suivre à la lettre les plans des généraux du pragmatisme
qui m'obligent à passer par diverses étapes laborieuses et épreuves mesquines
pour pouvoir enfin atteindre mon lit.
Une démarche anodine et frontale dans la théorie mais terriblement
difficile à mettre en oeuvre. Je parviens finalement à conquérir mon oreiller,
au prix de mes derniers efforts de dormeur debout. Il est tard et le cadran des
heures indues s'est lui-même assoupi plus tôt que moi.
Tout s'apaise, tout se met en veille entre mes murs sages.
Dehors les étoiles font étinceler le ciel ou bien la pluie fait frissonner
la terre, peu importe. Je suis parti, et ne reviendrai de mon odyssée que
lorsque les premières lumières de l'aurore reviendront, comme chaque matin,
sanctifier ma solitude.
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