lundi 28 avril 2025

2 - Au réveil

Lorsque le jour se lève sur mon monde idéal, éclairant peu à peu ce paradis végétal de friche et de solitude où je me suis enterré, je sors de ma tombe comme une taupe de son trou et, heureux de ce nouveau matin, je bénis cette énième journée d'exil qui s'offre à moi.
 
Sur mon île sylvestre, reclus parmi les étoiles et les cailloux, je contemple l'Univers d'un regard d'homme des cavernes. Pour moi seuls importent mes fagots, mes sabots, mes rondins de bois, mon âtre et ma marmite. Tout ce décor fruste qui fait mon bonheur archaïque. Ma vue se limite aux choses à portée de ma main, mes besoins se réduisent à l'essentiel, je n'ai plus qu'une sensibilité d'ogre.
 
Sur ces points-là je suis l'égal d'une bête : je vis sans artifice, dévorant la lumière sans faire de manière. Dans mon environnement rustique et avec  mes sacs en lin sur le dos, je ressemble à un loup déguisé en humain. J'ai définitivement choisi la simplicité, jusqu'à l'indécence, jusqu'à l'outrance, jusqu'à la laideur : aux yeux des citadins qui me découvriraient au fond de ces broussailles, j'apparaîtrais comme un croquemitaine.
 
Ici, sous ce toit loin des vacuités des cités policées, je ne m'embarrasse guère de délicatesses superflues. Ma salle de bain, c'est le bord de la rivière. Mon savon, c'est la cendre de ma cheminée. Mon eau de Cologne, c'est l'odeur des bûches qui sèchent près du foyer. Je m'habille de rugosités et me parfume de toutes les sèves. Je suis-moi-même une écorce, un tronc, une souche.
 
Je me présente ainsi pour traverser les profondeurs de la forêt et atteindre le soir, plus farouche qu'à l'aube, enrichi par les heures pleines de ronces et d'humus passées sous les arbres.

Mais il est temps de respirer l'air de la liberté. Il est encore tôt. J'allume mon feu de misère : c'est une nouvelle éternité qui commence pour moi.

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