Un matin je découvris un ballon de baudruche à moitié dégonflé dans mon
potager.
Vraisemblablement un rebut de la civilisation, me dis-je... En m'approchant
je remarquai une affichette attachée à une ficelle. Je crus deviner une
publicité aux couleurs criardes pour je ne sais quel inutile et onéreux mirage
de bonheur...
Ainsi sans rien demander, je recevais les nouvelles les plus ineptes de la
société moderne jusqu'au coeur de ma retraite sacrée, pensai-je dans un soupir
de dépit ! Cependant, à y regarder de plus près, l'objet céleste qui venait de
s'échouer dans mon jardin n'avait pas l'air d'être un vulgaire prospectus
commercial... Je ramassai l'épave.
Une bouteille à la mer !
Il s'agissait en réalité d'une pièce rare. Une note personnelle visiblement
rédigée de la main d'un fol expéditeur ayant envoyé ses plus chères aspirations
dans l'océan des airs, confiant au ciel le choix du destinataire.
Aujourd'hui encore des rêveurs expédient leurs plus légères pensées par ce
moyen : pour le plaisir de les voir s'envoler, de les savoir transportées
jusqu'à l'autre bout de la Terre au gré des courants aériens. Avec l'espoir que
leur lettre chargée de tant de secrets frappera à la bonne porte en atterrissant
ici ou là...
Puisque Éole avait fait prendre à ce courrier sans adresse la direction de
mon îlot de solitude pour le déposer sur mes sillons, j'en fis excellente
réception. Après tout j'avais-pas récolté là une salade hors-norme ? Autant dire
que j'étais tombé sur un trésor.
Je lus :
"Ami inconnu, étranger lointain, frère d'ailleurs, toi qui trouveras ce
message, qui que tu sois, sache que quelque part en ce monde, par le biais de ce
billet accrochée à un ballon d'hélium, une âme s'est précipitée vers toi. Dieu
seul, ou simplement le bon vent, t'a choisi puisque tu as ce présent papier
sous les yeux, parvenu jusqu'à toi à travers les nues... Tu ne sauras jamais qui
je suis. Moi non plus, je ne saurai jamais qui tu es. Ni même si ma "missive"
sera lue un jour. J'écris peut-être pour le vide, je sais. Mais ce sont les
meilleurs sentiments de mon être que je te destine, comme une flamme jetée dans
l'azur. Si tu la reçois, j'espère qu'elle t'éclairera, t'allégera, embellira ta
journée ou bien ta vie entière. C'est ainsi que naissent les choses de valeur,
que germent les actes ayant un prix infini : de manière aléatoire et gratuite,
sans calcul ni aucune distinction. A l'image de l'amour universel. Ces mot que
tu viens de lire sont ma prière. Où que tu sois, quel que soit ton nom, je
t'aime."
Je demeurai pensif. Etait-ce une blague ? Ce bristol aux apparences
anodines mais au contenu si riche me fit un tel effet que le doute disparut
assez vite. Cela ne pouvait pas être une farce. J'avais bel et bien reçu une bénédiction venue d'en haut, au sens littéral du terme. Une grâce
issue des nuages. La plume d'un ange, pourquoi pas ?
J'ai gardé précieusement cette preuve écrite de l'existence de petits
miracles générant des joies pures. Cela m'a confirmé que même au centre d'une
forêt de réclusion, loin des pollutions matérielles du siècle, à tout moment
peut se manifester une source inattendue de beauté.
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