Un matin en me levant je découvris des empreintes suspectes autour de ma
maison. Par endroits la terre était retournée de façon typique. Je reconnus tout
de suite l'auteur de cette oeuvre de sagouin : il s'agissait là sans aucune
doute d'un sanglier, une bête que je considère comme mon égal par certains
aspects, tant nous nous ressemblons.
J'allai dans mon potager vérifier s'il n'y avait pas fait de dégâts...
Evidemment, ce satané cochon s'y était allègrement vautré pour mieux dévorer une
partie de mes patates ! Je devais m'y préparer, sachant que fatalement mes
sillons finiraient par attirer ce genre d'intrus à l'appétit de brute.
Enfin, que faire ? Rien du tout. Ou du moins réparer le dommage, juste
laisser passer, attendre que les choses se tassent et que la glèbe résorbe les
pertes. Pourquoi donc m'alarmer ? Si ma foi il faut que je contribue à nourrir
avec les fruits de ma sueur ce gros pourceau de la forêt, autant que cela se
fasse avec toute la bonhomie possible.
Après tout, je l'estime comme étant mon plus proche frère de solitude, mon
semblable bourru grand coureur des bois, mon invisible compagnon des fourrés. Je
tombe souvent sur les traces de ses passages mais me retrouve rarement en
tête-à-tête devant sa face de foutu phacochère. Lui et moi sommes des gueux de
la friche, des sortes de clodos sylvestres, des espèces à part qui vivent loin
des artifices et des futilités. Nous préférons tous deux la bonne odeur de
l'humus et les promesses des racines qui nous entourent.
Lui le malpropre, moi l'ogre.
En réalité j'aime cet épais animal au poil rêche et aux moeurs primaires.
Et j'ai plaisir à savoir qu'il est venu s'engraisser à bon compte la nuit en
cachette dans mon jardin... De la même manière que je jette parfois amicalement
des miettes aux oiseaux, rien que pour l'agrément de les entendre pépier de près
et de les voir becqueter la nourriture à mes pieds, je me réjouis à l'idée que
ce gibier de roi s'est approché si intimement de mes cultures pour en faire son
festin ! Certes je n'ai pas assisté à la ripaille du visiteur parmi mes légumes,
mais il m'a laissé sa signature.
Et ainsi à l'aube en me réveillant je constate avec effarement et joie
mêlés que durant mon sommeil ce goinfre de légende a daigné honorer mes
productions horticoles de son auguste présence, fouillant de son groin illustre
mon humble carré de primeurs, y déposant même ses déjections en signe de
gratitude.
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