jeudi 29 mai 2025

41 - Le sanglier

Un matin en me levant je découvris des empreintes suspectes autour de ma maison. Par endroits la terre était retournée de façon typique. Je reconnus tout de suite l'auteur de cette oeuvre de sagouin : il s'agissait là sans aucune doute d'un sanglier, une bête que je considère comme mon égal par certains aspects, tant nous nous ressemblons.
 
J'allai dans mon potager vérifier s'il n'y avait pas fait de dégâts... Evidemment, ce satané cochon s'y était allègrement vautré pour mieux dévorer une partie de mes patates ! Je devais m'y préparer, sachant que fatalement mes sillons finiraient par attirer ce genre d'intrus à l'appétit de brute.
 
Enfin, que faire ? Rien du tout. Ou du moins réparer le dommage, juste laisser passer, attendre que les choses se tassent et que la glèbe résorbe les pertes. Pourquoi donc m'alarmer ? Si ma foi il faut que je contribue à nourrir avec les fruits de ma sueur ce gros pourceau de la forêt, autant que cela se fasse avec toute la bonhomie possible.
 
Après tout, je l'estime comme étant mon plus proche frère de solitude, mon semblable bourru grand coureur des bois, mon invisible compagnon des fourrés. Je tombe souvent sur les traces de ses passages mais me retrouve rarement en tête-à-tête devant sa face de foutu phacochère. Lui et moi sommes des gueux de la friche, des sortes de clodos sylvestres, des espèces à part qui vivent loin des artifices et des futilités. Nous préférons tous deux la bonne odeur de l'humus et les promesses des racines qui nous entourent.
 
Lui le malpropre, moi l'ogre.
 
En réalité j'aime cet épais animal au poil rêche et aux moeurs primaires. Et j'ai plaisir à savoir qu'il est venu s'engraisser à bon compte la nuit en cachette dans mon jardin... De la même manière que je jette parfois amicalement des miettes aux oiseaux, rien que pour l'agrément de les entendre pépier de près et de les voir becqueter la nourriture à mes pieds, je me réjouis à l'idée que ce gibier de roi s'est approché si intimement de mes cultures pour en faire son festin ! Certes je n'ai pas assisté à la ripaille du visiteur parmi mes légumes, mais il m'a laissé sa signature.

Et ainsi à l'aube en me réveillant je constate avec effarement et joie mêlés que durant mon sommeil ce goinfre de légende a daigné honorer mes productions horticoles de son auguste présence, fouillant de son groin illustre mon humble carré de primeurs, y déposant même ses déjections en signe de gratitude.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire