Le soir autour de ma maison forestière je reçois parfois la visite de bien
espiègles importuns.
Des lapins.
Il y a plus d'un siècle Daudet racontait ce genre de rencontre dans "Les
lettres de mon moulin".
A la différence près, dans mon cas, que mes hôtes viennent jusqu'à moi pour
la raison essentielle qu'ils sont attirés par les carottes et salades de mon
potager. Je dois donc veiller à les tenir à distance des objets de leur
convoitise. La seule solution que j'ai trouvée de les détourner de mes sillons,
c'est de leur faire des offrandes.
Je leur destine astucieusement mes diverses épluchures et autres rebuts
alimentaires dont ils font leurs festins.
Je les observe ainsi en train de festoyer dans la friche éclairée par la
Lune. Ces réceptions au calme avec tous ces invités inopinés banquetant
joyeusement sous la lueur du satellite sont pour moi source de fol amusement. La
distraction est à la mesure de mes moyens : extrêmement limités, voire nuls. Je
l'apprécie d'autant mieux. Ce spectacle gratuit occupe toute ma soirée. Je
l'alimente de temps à autre par l'apport de nouvelles pelures, de quelques
restes de fruits, d'un quignon oublié, prolongeant un peu plus la pièce de
théâtre donnée par la troupe d'affamés.
Et systématiquement, c'est la même surprise. A un moment donné les choses
se transforment, empruntent une direction mystérieuse.
La scène prend alors une dimension onirique. Un tableau idyllique
m'apparaît progressivement, la réalité se métamorphosant en une peinture idéale.
Bientôt je ne vois plus qu'une assemblée de créatures féériques s'adonnant à des
jeux d'enfants sous le firmament, une société enchanteresse de lutins agités qui
sautent et gambadent dans la paix de la nuit...
Quelle fête sous les étoiles !
L'instant est magique, la vision fabuleuse. J'en ai pour mon argent,
c'est-à-dire pas cher du tout : deux ou trois ronds de légumes et un croûton de
pain dur.
Puis, une fois rassasiés, peu à peu les mangeurs s'éparpillent. Un nuage
passe devant le projecteur lunaire et j'ai l'impression que les lumières de cet
opéra des animaux s'éteignent. Le numéro s'achève, il est l'heure d'aller me
coucher.
Je vais poursuivre la suite de cette histoire dans mon lit.
Pour moi le rêve ne fait que commencer.
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