lundi 26 mai 2025

36 - Les lapins

Le soir autour de ma maison forestière je reçois parfois la visite de bien espiègles importuns.
 
Des lapins.
 
Il y a plus d'un siècle Daudet racontait ce genre de rencontre dans "Les lettres de mon moulin".
 
A la différence près, dans mon cas, que mes hôtes viennent jusqu'à moi pour la raison essentielle qu'ils sont attirés par les carottes et salades de mon potager. Je dois donc veiller à les tenir à distance des objets de leur convoitise. La seule solution que j'ai trouvée de les détourner de mes sillons, c'est de leur faire des offrandes.
 
Je leur destine astucieusement mes diverses épluchures et autres rebuts alimentaires dont ils font leurs festins.
 
Je les observe ainsi en train de festoyer dans la friche éclairée par la Lune. Ces réceptions au calme avec tous ces invités inopinés banquetant joyeusement sous la lueur du satellite sont pour moi source de fol amusement. La distraction est à la mesure de mes moyens : extrêmement limités, voire nuls. Je l'apprécie d'autant mieux. Ce spectacle gratuit occupe toute ma soirée. Je l'alimente de temps à autre par l'apport de nouvelles pelures, de quelques restes de fruits, d'un quignon oublié, prolongeant un peu plus la pièce de théâtre donnée par la troupe d'affamés.
 
Et systématiquement, c'est la même surprise. A un moment donné les choses se transforment, empruntent une direction mystérieuse.
 
La scène prend alors une dimension onirique. Un tableau idyllique m'apparaît progressivement, la réalité se métamorphosant en une peinture idéale. Bientôt je ne vois plus qu'une assemblée de créatures féériques s'adonnant à des jeux d'enfants sous le firmament, une société enchanteresse de lutins agités qui sautent et gambadent dans la paix de la nuit...
 
Quelle fête sous les étoiles !
 
L'instant est magique, la vision fabuleuse. J'en ai pour mon argent, c'est-à-dire pas cher du tout : deux ou trois ronds de légumes et un croûton de pain dur.
 
Puis, une fois rassasiés, peu à peu les mangeurs s'éparpillent. Un nuage passe devant le projecteur lunaire et j'ai l'impression que les lumières de cet opéra des animaux s'éteignent. Le numéro s'achève, il est l'heure d'aller me coucher.
 
Je vais poursuivre la suite de cette histoire dans mon lit.

Pour moi le rêve ne fait que commencer.

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