lundi 12 mai 2025

18 - La rosée matinale

Si j'apprécie la beauté funèbre de la rosée matinale, c'est parce que j'aurais pu aussi bien la détester. Il m'a fallu du temps pour aimer cette compagne des caveaux ! Pas facile de s'en faire une amie... Elle se présente comme un drap austère sur la nature, une gifle glutineuse au lever, un café froid pour se réveiller.
 
Son accueil est glacial, sa face blême, son air humide.
 
Elle apparaît à l'aube tel un spectre s'étalant sur les plantes. Cette importune venue du fond de la nuit ressemble à un cadavre du matin gisant sur les feuilles. Elle écrase la verdure de son poids de morte et rend l'ambiance morbide, figeant tout ce qu'elle recouvre dans un immense frisson statique.
 
Elle est le linceul éphémère de tout ce qui vit.
 
J'ai l'impression qu'elle imprègne les herbes non pour les utilement abreuver mais plutôt pour malicieusement mouiller mes bas de pantalon ! Intrusive, obsédante, collante, nulle étoffe ne lui échappe. Elle s'immisce partout où elle le peut. Sa priorité, me semble-t-il, est d'humecter le monde de son bref passage, d'y laisser son empreinte brumale vite effacée... Baiser dérisoire de perles d'eau vouées au néant... De quoi ajouter un trouble attrait à l'éclat de ce triste visage.
 
Elle règne sur l'aurore avant de s'évaporer sous les premières caresses d'Hélios. Là elle se fait légère, discrète, aérienne. Loin de ses originelles pesanteurs de limace. A ce stade de conversion, je la trouve vraiment délicieuse.
 
Puis s'évanouit totalement, se faisant oublier jusqu'au lendemain.
 
Son apparition sur la terre encore endormie laisse le souvenir d'une visiteuse certes fugace mais pesante. Et sous les rayons solaires finit par se transformer en pur éther.
 
Celle qui si tôt au petit jour humidifie mes habits et imbibe mes bâillements de ses postillons océaniques, en réalité n'est qu'un vaste voile translucide qui fait illusion, rien qu'une onde mort-née conçue pour partir en fumée.

Chaque fois que j'ouvre ma porte au réveil, je prends la peine de faire quelques pas en sa compagnie, en attendant qu'elle s'envole vers le Soleil.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire